Virginie
LEFÈVRE
Rédactrice Sirenergies
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June 21, 2023
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Peut-être avez-vous entendu parler récemment du nouveau gazoduc Nord Stream 2, plus connu anciennement sous le nom North European Gas Pipeline (NEGP). En effet, ce dernier est apparu dans les médias à la fin de sa construction. Cependant, il suscite les débats et les interrogations depuis plusieurs années.
Cette nouvelle route du gaz voit le jour, car elle répond à un besoin européen grandissant en termes de gaz. C’est le gaz qui fait figure d’énergie de transition. Effectivement, pour pallier l’intermittence des énergies renouvelables, on brûle du gaz dans plusieurs pays européens.
Ce nouveau gazoduc pose également des questions et des nouveaux risques de différentes natures pour la France et ses voisins européens.
Débuté en 1997, ce projet faramineux, qui aura coûté en tout la bagatelle de 10 milliards d’euros, a une capacité de transport de plus de 55 milliards de mètres cubes de gaz par an.
Ce tube d’une longueur de près de 1 200 km passe sous la mer Baltique et relie la Russie à l’Allemagne.
Le nouveau gazoduc devrait permettre de doubler les quantités de gaz en Europe si l’on en croit les chiffres actuels.
En réalité, il ne s’agit pas d’un nouveau projet. En effet, il existe déjà une première version de ce gazoduc avec Nord Stream 1. Le projet initial emprunte le même itinéraire et fonctionne et est opérationnel depuis 2012. Nord Stream 2 longe donc parfaitement le tracé du premier gazoduc.
Tracé de Nord Stream et Nord Stream 2 - Source : Alternatives Économiques / France 24
Compte tenu des tensions géopolitiques, en particulier à cause du conflit qui oppose l’Ukraine à la Russie, le projet trouve de nombreux détracteurs. Aux premières loges, les États-Unis, l’Ukraine donc ainsi que quelques pays européens.
Ce projet trouve des détracteurs en Europe, mais également des alliés. Les cinq entreprises qui ont financé le projet sont d’ailleurs toutes européennes : le français Engie, l’anglo-néerlandais Shell, l’autrichien OMV, les Allemands Uniper et Wintershall. Gazprom reste malgré tout l’actionnaire à 100 % du projet.
En revanche, il existe à l’Est de l’Europe des acteurs en opposition avec ce projet. Le conflit armé qui a eu lieu en Ukraine il y a quelques années avec la Russie a considérablement dégradé leurs relations. L’Ukraine et la Pologne y sont farouchement opposés.
L’Allemagne, et plus précisément Angela Merkel, a eu un rôle ambigu sur le sujet. Son pays étant fortement dépendant au gaz (le pays ayant quitté le nucléaire par le biais de l’Energiewende), la chancelière ne pouvait se permettre une confrontation. Elle se contentera de condamner un usage des hydrocarbures comme un moyen de pression.
L’Union européenne est plutôt favorable au projet, guidée par des objectifs avant tout économiques, et voit en cela une opportunité d’approvisionnement pour l’Europe.
La structure gazière passe à travers les eaux territoriales de nombreux pays différents (Danemark, Allemagne…). Cela nécessite d’avoir l’accord de l’ensemble de ces pays ; en période de tensions géopolitiques, cela peut devenir un véritable exercice d’équilibriste. Le Danemark a refusé pendant un temps le développement du projet sur son espace maritime.
Point de sortie du gazoduc Nord Stream 2 en Allemagne - Source : Le Figaro
Dès 2017, le gouvernement américain fait pression auprès de l’ensemble de ses partenaires européens afin d’abandonner le projet. Les USA voient d’un très mauvais œil l’implantation de moyens de livraisons de gaz russe. Il s’agit évidemment de rivalités géopolitiques historiques datant du 20ᵉ siècle entre l’ex-bloc soviétique et les USA.
Donald Trump a essayé à de nombreuses reprises de faire échouer le projet. Il fait voter la loi lui permettant de sanctionner les entreprises ayant participé à la construction du projet. Ces sanctions ralentissent le projet ; à ce titre, la société Allseas (spécialisée dans la construction de projets sous-marins) se retire du projet.
La stratégie des USA est de menacer de sanctions notamment les sous-traitants liés à Nord Stream 2. Le but étant de dissuader les entreprises spécialisées dans la pose ou l’entretien des équipements de travailler sur ce projet. Cela concerne jusqu’aux compagnies d’assurances !
Plusieurs chefs d’États européens se sont prononcés contre ce nouveau projet de transport de gaz. En effet, ces chefs de gouvernement redoutent l’utilisation de ce pipeline comme une arme de négociation massive.
Certains pays à l’est sont fortement dépendants de l’approvisionnement en gaz russe. La mise en place de ce nouvel axe de transport vient renforcer ces conditions déjà favorables au Kremlin. L’Ukraine fait partie des premiers détracteurs. Et pour cause, Nord Stream 2 ne passe pas par le territoire ukrainien, à contrario d’autres gazoducs qui apportent de fortes recettes au pays.
Le projet prive donc l’Ukraine de revenus très importants issus du transit du gaz russe sur son territoire. Les relations entre les deux pays ont explosé lors du conflit armé datant de 2014. La Crimée et la région du Donbass sont encore actuellement le théâtre d’affrontements. Il est donc tout à fait normal que Kiev voie d’un très mauvais œil le développement de cette nouvelle route du gaz.
Par le passé, la Russie a déjà coupé les arrivées de gaz à destination de l’Ukraine ; aucune sanction n’avait été adressée à l’égard des Russes. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a déclaré que Nord Stream 2 était tout simplement une « arme géopolitique dangereuse ».
Ce n’est pas directement qu’il faut analyser l’impact de Nord Stream 2 sur le climat, mais de manière indirecte.
La durée de vie moyenne d’ouvrages souterrains se compte souvent en dizaines d’années. GRTgaz estime notamment la durée de vie de tels ouvrages à plus de 50 ans. Réalisé en soudant plusieurs milliers de tubes en acier étanches, ce genre d’ouvrage est à l’abri des intempéries.
Cependant, l’Europe annonce sa neutralité carbone avec pour objectif l’année 2050. Un rapide calcul nous fait comprendre que l’objectif de zéro émission de CO2 est déjà abandonné. Dans la course pour savoir quelle sera l’énergie du futur, ou plutôt l’énergie de transition, le gaz fait figure de favori.
On entend déjà ce genre de discours notamment au sein du secteur de l’énergie, notamment chez le géant gazier TotalEnergies. Son dirigeant P. Pouyanné déclare le 1ᵉʳ octobre 2021 dans les colonnes des Échos : « Le gaz est une énergie fossile, mais il permet de pallier l’intermittence des énergies renouvelables ».
La construction de ce nouveau raccordement confirme donc ce savant calcul. L’Allemagne est en ce sens très investie dans ce projet, car l’installation massive d’éoliennes les contraint à garder une source de flexibilité. C’est pour cette raison que les géants de l’énergie continuent d’investir dans le gaz comme source de production d’électricité. Ce projet risque de ralentir l’UE dans sa quête de neutralité carbone liée à la transition énergétique.
En tant que lecteur assidu de nos articles, vous n’êtes pas sans savoir que les prix du gaz ont flambé ces derniers mois pour atteindre des sommets. La reprise post-Covid ainsi que la forte demande asiatique face à une production stagnante ont fait exploser les prix.
Les prix européens du gaz peuvent connaître une accalmie si le gazoduc est rapidement mis en service. Mécaniquement, si l’offre vient couvrir la demande, la situation de pénurie disparaît alors.
Cela pourrait entraîner une baisse des prix du gaz ; malheureusement, il est très difficile d’affirmer quoi que ce soit dans ce domaine. Si les paramètres que l’on connaît actuellement (niveau de demande, températures normales de saison, etc.) se maintiennent, il est probable de voir les prix baisser. Cependant, nous ne sommes pas à l’abri d’une nouvelle qui pourrait changer la donne. Le marché américain est notamment à surveiller.
Aujourd’hui, ce projet d’envergure internationale est achevé. Il est actuellement en cours de certification et de remplissage. Les régulateurs allemands doivent donner leur dernier feu vert à l’utilisation de ce gazoduc. Il est très probable que l’on entende encore parler de ce projet dans les mois à venir.
Les États-Unis semblent avoir abandonné l’idée de sanctionner ce gazoduc ; cependant, les évolutions politiques en Europe risquent, elles, de faire évoluer la situation. Que ce soit une nouvelle élection (en France ou en Allemagne) ou une montée au créneau de l’UE, on risque d’en entendre parler très vite !
N'hésitez pas à consulter notre article sur la Guerre en Ukraine - Quelle dépendance au gaz russe pour les pays de l'UE ?