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Virginie

LEFÈVRE

Rédactrice Sirenergies

Experte de l'énergie depuis 15 ans
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Thorium : vers un nucléaire plus responsable ?

Transition & stratégie climat
Energie verte

Thorium : vers un nucléaire plus responsable ?

October 29, 2025

9

min de lecture

Longtemps écarté au profit de l’uranium, le thorium fait aujourd’hui son retour sur la scène énergétique, porté par le succès du premier réacteur expérimental chinois. 

Face aux limites du modèle nucléaire actuel, ce métal abondant suscite un regain d’intérêt chez les scientifiques et gouvernements, séduits par la perspective d’une énergie nucléaire plus propre et plus durable. 

Le thorium représente-t-il vraiment une alternative durable aux limites de l’uranium ?
Ou n’est-il qu’un mirage technologique ? 

Sirenergies vous fait découvrir ce combustible porteur d’espoirs, symbole des tiraillements du secteur nucléaire, partagé entre ambitions technologiques, réalités financières et impératifs écologiques. 

Pourquoi repenser le modèle du nucléaire actuel ? 

Dans un monde engagé dans la transition énergétique, l’électricité nucléaire séduit les États en quête de la neutralité carbone.

Son principal atout ?
Les faibles émissions de gaz à effet de serre que sa production génère. 

Pourtant, le modèle actuel interroge, notamment en raison de sa dépendance à un unique combustible : l’uranium-235 (forme d’uranium utilisée dans les centrales nucléaires actuelles).  

Minerai d'uranium extrait à Lodève
Minerai d'uranium extrait à Lodève, France (©photo)

La problématique persistante des déchets nucléaires

Chaque année, le parc nucléaire mondial génère environ 200 000 m³ de déchets de faible et moyenne radioactivité et 10 000 m³ de déchets hautement radioactifs

En France, l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ADRA) recensait, en 2023, 1,85 million de m³ de déchets radioactifs français et étrangers stockés sur le territoire. 

Or, aucune solution pérenne n’a encore été trouvée pour isoler durablement ces combustibles radioactifs usés. 

En France, les déchets « à vie courte » (90 % du volume total) sont confinés en surface dans des installations bétonnées. Ces sites pourraient cependant atteindre leur capacité maximale d’ici 2030. 

Répartition des volumes et niveaux de radioactivité des déchets radioactifs en France
Bilan à fin 2023 des déchets radioactifs en France - Andra

Les déchets « à vie longue » (dont 0,2 % classés à haute radioactivité) sont provisoirement stockés sur les sites de la Hague, Marcoule et Caradache. 

Leur destin repose sur le projet Cigéo, un programme d’enfouissement géologique profond encore à l’étude, inspiré du seul modèle actuellement opérationnel : le site finlandais d’Onkalo. 

Plan du site de stockage des combustibles nucléaire usés
Site de stockage des combustible nucléaires usés d'Onkalo - Sfen

Sécurité nucléaire : le risque zéro impossible

Bien que les réacteurs nucléaires soient placés sous la haute surveillance de l’ASN et conçus selon des normes de sécurité strictes, les catastrophes de Tchernobyl et Fukushima rappellent que le risque zéro n’existe pas. 

En cas de défaillance, les conséquences humaines, environnementales et économiques peuvent être dramatiques

En France, aucun accident majeur n’a été recensé depuis la mise en service du premier réacteur il y a 60 ans. 

Néanmoins, la confiance des citoyens reste fragile, face au vieillissement du parc nucléaire national.

Un coût économique difficile à maîtriser

Si le nucléaire affiche un coût de production compétitif une fois les centrales amorties, les investissements de départ sont colossaux

La construction de l’EPR de Flamanville en témoigne :

  • un budget passé de 3,3 à 13,2 milliards d’euros
  • Plus de dix ans de retard sur le calendrier initial. 

À cela s’ajoute la gestion coûteuse des déchets radioactifs. 

En 2022, elle représentait 859 millions d’euros en France, soit une hausse de 19 % en un an. La fin de vie des centrales nucléaires constitue un autre défi financier. 

En 2020, la Cour des Comptes chiffrait à plus de 46 milliards d’euros le coût du démantèlement du parc nucléaire national. 

L’acceptabilité sociale et environnementale en question

Depuis ses origines, l’énergie nucléaire suscite des résistances

La Bretagne illustre cette défiance avec son opposition historique au nucléaire, exprimée dès les années 1970-1980 contre le projet de centrale à Plogoff.

Aujourd’hui encore, la question du traitement des déchets et l’impact environnemental des infrastructures alimentent les débats. 

À l’heure de la transition énergétique, beaucoup plaident pour d’autres voies : l’accélération des énergies renouvelables, exploitant des ressources plus naturelles, locales et durables.  

Le thorium : une alternative réellement durable pour un nucléaire plus propre ? 

Face aux limites du modèle nucléaire actuel, le thorium suscite un intérêt croissant. 

Plus abondant que l’uranium-235, il produit des déchets radioactifs de plus courte durée et réduit le risque de prolifération

Ces atouts en font une voie prometteuse vers un nucléaire plus sûr, plus durable et plus aligné avec les exigences sociales et environnementales. 

Qu’est-ce que le thorium et comment fonctionne son cycle ?

Le thorium est un métal légèrement radioactif, présent en grande quantité dans la croûte terrestre

Découvert au XIXème siècle, il a été écarté au profit de l’uranium pour deux raisons : 

  • il n’est pas fissile, et donc incapable d’entretenir seul une réaction en chaîne
  • il ne peut pas être utilisé à des fins militaires. 

Pour devenir un combustible exploitable, le thorium doit d’abord être converti en uranium-233 (U-233). 

Cette transformation se produit lorsqu’un atome de thorium capture un neutron, généralement libéré par la fission d’un isotope fissile (uranium-235 ou plutonium-239). 

L’exploitation du thorium sous forme solide nécessite deux types de réacteurs : 

  • un premier réacteur « producteur » (ou surgénérateur) pour convertir le thorium en U-233
  • un second réacteur « consommateur » pour produire de l’électricité à partir de l’U-233 récupéré. 

Pour simplifier ce processus, les ingénieurs développent les réacteurs à sels fondus (RSF). 

Le thorium est dissous dans un sel fluoré à l’état liquide. 

Il se transforme sur place en uranium-233, toujours en capturant les neutrons libérés par la fission d’uranium ou de plutonium. Ce nouvel isotope est immédiatement consommé dans le même circuit pour produire de l’électricité. Le sel fondu joue un double rôle : il sert à contenir et transformer le thorium, mais aussi à refroidir le réacteur. 

Les avantages du thorium par rapport à l’uranium

Le thorium combine de nombreux avantages par rapport à l’uranium-235 : 

  • Une ressource abondante : le thorium est trois à quatre fois plus abondant que l’uranium.  On en trouve des quantités significatives en Inde, Australie, États-Unis et Amérique du Sud. 
  • Un rendement énergétique supérieur : l’uranium-233 issu du thorium a une capacité de fission plus élevée que l’uranium-235. À quantité égale de minerai, le thorium produit donc plus d’énergie. 
  • Un meilleur usage des ressources : la transformation du thorium génère plus d’énergie qu’elle n’en consomme. Le réacteur fonctionne aussi en cycle continu, en réutilisant une fraction de l’U-233 produit pour poursuivre la conversion du thorium. 
  • Des centrales nucléaires plus sûres : dans les réacteurs à sels fondus, le combustible est à l’état liquide. En cas d’incident, il peut rapidement être évacué vers un réservoir de sécurité où il se solidifie naturellement, évitant tout emballement du cœur du réacteur. 
  • Des déchets à vie plus courte : le cycle du thorium génère des déchets plus irradiants à court terme, mais leur radiotoxicité décroît plus rapidement que celle des déchets issus du cycle de l’uranium. 
  • Un risque de prolifération réduit : le thorium ne peut pas être utilisé pour fabriquer des armes. L’U-233 contient des traces d’U-232, un isotope qui émet de puissants rayonnements gamma, hautement dangereux pour l’homme. 

Le nucléaire au thorium : une promesse crédible ou un pari incertain ? 

Si le thorium ne manque pas d’atouts pour accompagner la transition vers une énergie durable et décarbonée, son développement se heurte encore à de nombreuses difficultés : techniques, économiques et réglementaires. 

Des défis techniques majeurs

Malgré leurs promesses, les réacteurs à sels fondus doivent encore surmonter plusieurs obstacles techniques avant une utilisation à grande échelle.

  1. Corrosion et stabilité : Les sels fondus peuvent attaquer les parois du réacteur.
    De plus, le combustible liquide doit rester stable dans le temps, ce qui complique la conception des matériaux et des systèmes de contrôle.
  2. Conversion complexe du thorium : Le thorium n’est pas directement fissile. Il doit d’abord être transformé en uranium-233, une étape qui demande un mélange précis d’autres matières fissiles (comme l’uranium ou le plutonium). Cela rend la chaîne énergétique plus complexe.
  3. Gestion délicate des déchets : Les déchets produits sont moins durables que ceux issus de l’uranium, mais plus radioactifs. Certains isotopes, notamment l’uranium-232, imposent des précautions renforcées pour le stockage et la manipulation.

Des coûts de développement encore élevés

Le développement de la filière nucléaire au thorium requiert des investissements massifs, en raison du manque de retour d’expérience et de la complexité des technologies. À titre d’exemple, le réacteur expérimental chinois aurait coûté plus de 500 millions d’euros. 

Autre frein : le coût d’extraction du thorium.
Ce métal est principalement issu de la monazite, un minerai riche en terres rares.
Son extraction et sa purification sont aujourd’hui plus coûteuses que celles de l’uranium. 

Face à l’absence de modèle économique clair, la filière peine aussi à attirer les capitaux privés, indispensables pour un développement industriel. 

Un cadre réglementaire inadapté

Les réacteurs au thorium ne répondent pas aux standards actuels de l’industrie nucléaire, largement pensés pour les technologies à base d’uranium. 

Les normes de sécurité et les procédures de tests ne sont pas adaptées aux nouveaux réacteurs, dont ceux à sels fondus. 

Cette absence de cadre complique la mise en œuvre sécurisée de projets pilotes et de démonstrateurs. 

Quelles perspectives pour le thorium dans le monde ? 

À l’échelle mondiale, les projets de réacteurs exploitant du thorium se comptent sur les doigts d’une main. 

La Chine fait figure de pionnière avec la mise en service d’un réacteur expérimental dans le désert de Gobi. En 2024, ce prototype est parvenu à fonctionner dix jours d’affilée en pleine puissance. Cette réussite conforte la Chine dans son choix du thorium. Prochaine étape : la construction d’un réacteur démonstrateur de 10 MWh. 

Vue aérienne du site où sera construit le réacteur à sels fondus au thorium
Vue aérienne du site où sera construit le réacteur à sels fondus au thorium (appelé TMSR‑LF1) - Institut de physique appliquée de Shanghai

Riche en thorium, l’Inde mise aussi sur cette ressource naturelle pour développer l’électricité nucléaire. 

Engagé dans les années 2000, son programme vise un objectif clair et ambitieux : déployer à terme des réacteurs avancés à eau lourde capable de fonctionner avec un mélange de plutonium et de thorium.   

L’Europe est plus en retrait, même si le thorium est une voie prometteuse de décarbonation. 

  • En France, la recherche-développement se concentre sur le projet MSFR du CNRS (Molten Salt Fast Reactor) qui explore l’utilisation du thorium dans des réacteurs à sels fondus. 
  • En Suisse, la start-up Transmutex ambitionne de développer un nouveau type de réacteur nucléaire au thorium. 

Pour l’heure, la dynamique européenne et mondiale reste toutefois orientée vers les réacteurs de quatrième génération, basées sur l’uranium-238 et le plutonium-239, jugés plus matures. 

Pour conclure…

Grâce à ses nombreux atouts, le thorium incarne un vrai espoir technologique pour un nucléaire plus propre, plus sûr et plus durable. Cependant, de nombreuses incertitudes demeurent. Les obstacles sont nombreux et aucun réacteur à thorium n’a encore démontré sa viabilité à grande échelle. 

À l’horizon 2050, le thorium ne constitue pas une alternative crédible à l’uranium. Mais il représente une piste d’avenir prometteuse qui pourrait, à la fin du siècle ou au suivant, transformer le paysage nucléaire, en réconciliant sécurité, performance, exigences environnementales et acceptabilité sociétale. 

Ni solution miracle, ni illusion technologique, le thorium est un pari à très long terme pour un nucléaire responsable. 

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