Prix de l’énergie : une situation intenable pour certaines entreprises - Le Figaro - 8 mars 2022

Prix de l’énergie: une situation intenable pour certaines entreprises
DÉCRYPTAGE - Confrontées à des prix de l’énergie durablement élevés, les entreprises demandent des mesures de soutien.

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Avec l'aimable autorisation du journal Le Figaro

DÉCRYPTAGE - Confrontées à des prix de l’énergie durablement élevés, les entreprises demandent des mesures de soutien. « C’est une situation insupportable. » Stéphane Charbonnier, directeur financier de la Kartesis, un sous-traitant spécialisé dans l’usinage de pièces pour l’industrie automobile, est désemparé.

Habituellement, le poste « électricité » de son usine de Bonneville (Haute-Savoie) se monte à 1,2 million d’euros. Or, les estimations de son fournisseur d’électricité pour 2022 se montent à 6 millions d’euros. « À ce niveau-là, il nous est impossible de gagner de l’argent », prévient le dirigeant.

L’invasion de l’Ukraine par la Russie a bouleversé le marché de l’énergie. Les prix du pétrole, du gaz et de l’électricité se sont envolés.

«Nous avons pris 35 % de hausse sur le prix du gaz dans la journée de lundi, s’étrangle Emmanuel Sire, fondateur du courtier SirEnergies. C’est devenu le monde à l’envers : le gaz d’été est devenu plus cher que celui d’hiver. C’est complètement inédit et cela fait flamber les prix de l’électricité. »

L’impact pourrait être redoutable. « Pour 2022, les entreprises sont couvertes à hauteur de 80 % de leur besoin en électricité et de 75 % pour le gaz, estime Frank Roubanovitch, le président de la Cleee, qui regroupe les grands consommateurs industriels et tertiaires français d’électricité et de gaz. Il s’agit d’une moyenne et les situations peuvent être extrêmement diverses. Certaines entreprises se retrouvent à la limite de la cessation de paiements. »

Le gouvernement est conscient de l’urgence. Les grands utilisateurs d’électricité, du monde agricole aux producteurs d’aluminium et d’acier en passant par les constructeurs automobiles, ont été reçus pendant plusieurs heures par le premier ministre Jean Castex mardi après-midi. Ils sont d’autant plus en demande de soutien que la principale mesure décidée en début d’année, l’augmentation des volumes d’Arenh (cette électricité vendue aux industriels à un prix proche des coûts de production du nucléaire) n’entrera en vigueur que le 1er avril. En matière de gaz, il n’y a pas, aujourd’hui, de problème d’approvisionnement.

« Il faudra arriver à des mesures de rationnement, pour reconstituer les réserves en vue de l’hiver prochain, mais également de blocage des prix aussi bien pour le gaz que pour l’électricité », estime Nicolas de Warren, président de l’Uniden, syndicat des industriels électro intensifs.

De son côté, Frank Roubanovitch s’insurge contre les prix spot d’électricité, totalement corrélés à ceux du gaz. :

« Les coûts de production d’EDF se situent sans doute entre 40 et 60 euros du MWh, ce qui est très très loin des niveaux actuels, puisqu’il est supérieur à 400 euros le MWh sur les derniers trimestres 2022, explique-t-il. Il faut revenir à un niveau plus en rapport avec ces coûts de production, si on veut éviter un impact délétère sur les entreprises. »

En attendant des mesures éventuelles de soutien, les entreprises doivent jongler. En découvrant parfois qu’elles ne sont pas protégées alors qu’elles pensaient l’être. C’est le cas de Kartesis, en conflit avec son fournisseur d’électricité après avoir découvert, la semaine dernière, que sa couverture garantissant à 112 euros le KWh n’avait pas été activée.

« La situation n’est pas aussi compliquée dans nos usines aux États-Unis et au Mexique, déplore Stéphane Charbonnier. Ni en Slovaquie, où nous avons fixé un prix pour 2023 de 170 euros le KWh, largement inférieur au niveau actuel. Sans solution, nous pourrions envisager de déplacer des machines. »

Emmanuel Sire, lui, va jusqu’à conseiller à certains de ses clients de louer des camions de panneaux solaires. Ces derniers se déploient sur une remorque et peuvent représenter une puissance de 250 kilowatts. Vu les prix actuels du marché de l’électricité, produire soi-même ses kilowattheures est devenu économiquement rentable.

Par Egloff Emmanuel