Paris, 12 fév 2025 (AFP) - Le grand chamboule-tout de l'intelligence artificielle n'épargne pas les collectivités, qui n'ont jamais autant expérimenté l'IA générative qu'en 2024 pour tenter d'améliorer la qualité du service public, même si la plupart avancent prudemment.
Avec ses quelque 4.500 caméras, Nice est l'une des villes les plus avancées en matière d'IA, se heurtant régulièrement aux mises en garde de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil).
En 2019, son maire Christian Estrosi (Horizons) testait la reconnaissance faciale lors de son carnaval, tandis que 40 millions d'euros ont été investis dans la vidéosurveillance algorithmique, notamment pour repérer les départs de feu, même si bien d'autres usages ont été expérimentés.
Entre 2023 et 2024, le nombre de collectivités utilisant la vision par ordinateur, dont les systèmes d'IA connectés aux caméras, est passé de 26% à 40%, selon le baromètre Data Publica 2024.
Mais c'est l'arrivée fin 2022 de ChatGPT, star des agents conversationnels, qui a véritablement propulsé l'IA générative dans les communes, selon le baromètre, pour qui les collectivités n'ont toutefois pas cédé "aux sirènes du technosolutionnisme".
"Quand on parlait de +smart city+ ou de ville intelligente, seules les grandes fonctions urbaines étaient concernées, comme la réduction des consommations d'énergie dans les bâtiments publics ou la détection des fuites d'eau, mais aujourd'hui l'IA est dans toutes les politiques publiques", assure Jacques Priol, président du cabinet Civiteo, qui accompagne les collectivités.
L'IA est par exemple testée pour aider à rédiger des appels d'offres, des délibérations de conseils municipaux, mais aussi pour modéliser la pollution de l'air ou répondre aux usagers, via les robots conversationnels.
"Il y a même des tests pour élaborer des cartes scolaires, accélérer l'attribution de logements sociaux ou de places en crèche, ce qui ne va pas sans poser problème s'il y a des biais, voire de la discrimination", poursuit M. Priol, reconnaissant toutefois que le caractère "immensément consommateur d'énergie" de certains systèmes d'IA constitue un frein important.
Transparence
Une fois testées, certaines applications sont ensuite généralisées, comme en Ile-de-France, où un algorithme d'IA générative permet aux agents d'interroger des bases de données de la Région.
"C'est une sorte de conciergerie numérique qui peut potentiellement faire économiser 15% de ressources humaines", explique à l'AFP Bernard Giry, chargé de la transformation numérique.
La Région vient aussi d'introduire un outil d'IA générative dans ses manuels scolaires en ligne pour aider les enseignants à concevoir des exercices, et envisage aussi d'utiliser l'IA pour aider les jeunes à s'orienter.
Certains projets ambitionnent d'être une aide à la décision pour les élus, plongés dans un univers normatif de plus en plus touffu. A Béthune (Pas-de-Calais), le maire Olivier Gacquerre travaille ainsi à une plate-forme de données collaboratives pour disposer d'un "outil dynamique de connaissance du territoire".
"Si l'on veut faire un nouveau lotissement à tel endroit, on pourra l'interroger sur les conséquences en termes de mobilité", explique l'élu UDI.
A Paris Saclay, l'IA devrait permettre de mieux anticiper les crues de rivière, tandis qu'à Lyon Métropole, elle est mobilisée pour savoir quel arbre planter et à quel endroit.
Certaines collectivités ont toutefois mis le holà, comme à Montpellier, où un moratoire sur l'utilisation de ChatGPT par les agents de la métropole a d'abord été instauré avant d'aller plus loin, de peur que l'IA ne siphonne les données publiques.
Nantes Métropole a, elle, interdit l'usage de l'IA pour des prises de décisions individuelles concernant les usagers du service public.
"Si l'IA fait 5% d'erreur en gagnant 20% de productivité, une entreprise prendra le risque de l'utiliser, mais une collectivité n'aura pas le droit de le faire", observe Jacques Priol.
"Il faut être toujours vigilant parce que l'IA n'est pas objective et qu'elle est faillible", prévient également Clément Baylac, conseiller numérique d'Intercommunalités de France.
Les collectivités ont par ailleurs une obligation de transparence, rappelle l'avocate Schéhérazade Abboub, citant l'exemple de la publication de l'algorithme de Parcoursup, jugé opaque.
"Si davantage de décisions administratives sont prises sur la base de traitements algorithmiques qu'on ne maîtrise pas, il y a de forts risques de contentieux", commente-t-elle, alors que les collectivités sont selon elle "de plus en plus sollicitées par des entreprises passées à l'ère de l'IA".